L’histoire se déroule dans la grotte de Massabielle, à Lourdes, il y a un siècle et demi. Entre le 11 février et le 16
juillet 1858, « l’Immaculée Conception » apparaît dix-huit fois à une humble bergère de quatorze ans, du nom de
Marie-Bernarde Soubirous.
Sur l’injonction de la Vierge, Bernadette gratte le sol anhydre d’où jaillit tout à coup une source qui débite
quelque cent vingt mille litres à la journée. Un aveugle nommé Bourriette se frotte le visage avec cette eau : il
recouvre la vue. Le fait est attesté par le Dr Dozous. Miracle ! Un pèlerinage est organisé. La première année, une
centaine de guérisons prodigieuses sont constatées.
Les années suivantes, le nombre des pèlerins s’accroît considérablement et, avec eux, le nombre des
guérisons. Autre phénomène extraordinaire : le corps de Bernadette, devenue sainte, est conservé intact dans une
châsse de verre à Nevers !
Voilà en tout cas pour la légende dorée. La réalité historique est quelque peu différente.
Les visions. Bernadette, dont le père, alcoolique notoire, sortait de prison lorsqu’eurent lieu les apparitions, ne
savait ni lire ni écrire. La seule éducation qu’elle reçut fut religieuse. L’adolescente suivait avec enthousiasme le
catéchisme de l’abbé Ader, fervent admirateur du curé d’Ars, dont les visions sont connues. Ader était également
un dévot des (fausses) apparitions de La Salette. Avant les visions de son élève, l’homme d’Église confiait à
l’instituteur Barbet : « C’est étrange, chaque fois que je rencontre Bernadette, il me semble apercevoir les enfants
de La Salette ». Émile Zola fut l’un des premiers à évoquer l’ascendant que l’abbé avait pris sur la jeune fille.
Un détail ne laisse pas d’intriguer, en effet : les visions qu’a Bernadette de « l’Immaculée Conception » datent de
1858, tandis que le dogme de l’Immaculée Conception (i.e., la Vierge conçue sans péché) a, lui, été promulgué par
Pie IX en 1854 !
La source. Le sol de la grotte n’était pas aussi sec que prétendu. En 1858, le Gave passait même au pied de la
grotte, comme le montrent les photos de l’époque. Lorsque les eaux montaient la grotte était inondée ! Faut-il dire
que dans certains ouvrages religieux qui parurent sur le tard les photos gênantes furent retouchées afin que le Gave
n’y apparaisse point ? Aujourd’hui, le sol bétonné permet de camoufler habilement l’ancien passage.
L’aveugle. Bourriette n’a jamais été miraculé pour la simple raison qu’il n’a jamais été aveugle. Le carrier a
« failli » devenir borgne à la suite d’une explosion qui lui a brûlé le visage et endommagé la cornée de l’oeil droit.
Sa vision s’en est trouvée affaiblie, mais rien de tragique, contrairement aux affirmations postérieures du Dr
Dozous.
Dozous était d’ailleurs un drôle de paroissien. Piètre médecin, il avait été révoqué de ses fonctions aux
Hospices de Lourdes en 1856. Lui qui, fort de son titre de docteur, allait enregistrer les premiers « miracles » et se
faire le promoteur infatigable des eaux de la grotte, avait édité cinq ans avant les apparitions un petit livre qui
vantait les eaux thermales de… Cauterets, comme panacée universelle ! En voilà un qui savait retomber sur ses
pieds !
Le corps conservé. Incorruptible, le corps de Bernadette ? Pas à lire le rapport des médecins qui firent l’inhumation ! Le visage : « un artiste a recouvert la face d’un masque de cire très réussi car bien que momifiée, la
face noirâtre avec les yeux et le nez excavés auraient produit sans doute sur le public une impression pénible. ».
Même chose pour les mains !
Intriguée, le Dr. Thérèse Valot s’est penchée sur ce cas. Ses conclusions : le corps de Bernadette a tout
simplement été embaumé !
Les miracles. Pour sa thèse de médecine
1
, reçue avec la plus haute mention par la Faculté de médecine de Paris et
publiée en 1955 avec une préface du Dr. Édouard Rist, ancien président de l’Académie de médecine, Thérèse
Valot a, malgré la mauvaise grâce du Bureau médical des constatations (aux ordres de l’Église), scrupuleusement
passé en revue les cas de « miracles » réalisés à Lourdes.
Elle a par exemple scruté l’affaire Pierre de Rudder, guéri en 1875, non pas à Lourdes, mais par
procuration (on dit « intercession » dans la novlangue catholique), au sanctuaire Notre-Dame de Lourdes, à
Oostakker-lez-Gand, en Belgique. La fracture de la jambe de cet homme se serait ressoudée instantanément. Selon
les apologistes, c’est le miracle le plus extraordinaire de toute l’histoire de Lourdes. Mais en lisant les documents,
Thérèse Valot s’est aperçue que la jambe fracturée en 1867, et dont la consolidation se fit mal, était celle de
gauche alors que la jambe guérie dans le certificat de guérison était celle de droite !
Amusant : la contre-enquête officielle de l’Église sur le cas de Rudder commença en 1893. Près de vingt ans après
les « faits »...
La conclusion du Dr. Valot sur les miracles de Lourdes mérite d’être connue : « Aucune maladie n’ayant fait sa
preuve, histologique ou bactériologique, n’est guérie subitement à Lourdes ». Seuls « certains désordres
organiques dits psychosomatiques au support physico-chimique mal connu (ex : verrues, fistules, ulcères de
l’estomac...) peuvent être supprimés. »
Le Dr. Valot note enfin une « chute asymptotique vers zéro du chiffre annuel des guérisons (...),
conséquence inévitable du progrès des connaissances médicales ».
Et pendant ce temps, merci pour eux, les marchands du Temple se portent plutôt bien !