« Quand on gagne, il y a une période de désarroi »
Michel Pinçon est sociologue.
Avec son épouse Monique Pinçon-Charlot, ils viennent de publier « Les millionnaires de la Chance. Rêve et réalité » (Éditions Payot, 272 pages, 18,50€).
La Dépêche du Midi. - Avez-vous trouvé des similitudes dans le parcours des 30 gagnants que vous avez rencontrés ?
Michel Pinçon. - La similitude forte, c'est une certaine déstabilisation à la nouvelle du gain. Tous jouent pour gagner bien sûr ; cette éventualité a été rêvée, fantasmée. Ils y ont pensé mais pas de façon raisonnée. Quand cela arrive, ils sont pris de court. Quand ils gagnent plusieurs millions d'euros, certains se trouvent mal, y compris physiquement.
Le choc est psychologiquement trop violent ?
Oui, il y a une sorte de désarroi et la découverte de problèmes auxquels ils n'avaient pas pensé. Comment on va faire ? À qui on va le dire ? Faut-il le dire à la famille, aux collègues, aux enfants ?
D'où l'importance de l'aide offerte par la Française des Jeux ?
Tout à fait. On est très positif sur ce service et les gagnants que nous avons rencontrés sont extrêmement reconnaissants à la Française des Jeux de les réunir lors de ces ateliers-réflexion. Ils apprennent à gérer leur richesse et ce qui est important, c'est qu'ils parlent entre eux, c'est-à-dire à des gens qui connaissent les mêmes difficultés. Ces lieux d'échange sont comme un cercle dans lequel ils sont en confiance.
On a l'impression que les gagnants veulent conserver une vie normale et sont très raisonnables, ne font pas de folies.
C'est vrai. Hormis deux cas où les gagnants ont complètement changé de vie parce que le décalage devenait trop important avec leur vie d'avant, ce que l'on constate, c'est que l'argent du gain permet aux gagnants de réaliser une part importante de leur être. Le manque d'argent les empêchait d'avancer. En général, les gagnants du loto placent leur argent de façon prudente, ils ne flambent pas et ne font pas de folies. Beaucoup montent d'ailleurs une petite entreprise et certains reviennent dans leur travail.
Témoin
« J'ai mis six mois à m'en remettre »
Jacques Ansart* a gagné 53 millions de francs (environ 8 millions d'euros) en 1991 avec son frère Edmond. Il a appris qu'il était heureux gagnant le matin de Noël après avoir réveillonné toute la nuit. Il vit dans le Grand Sud.
- Qu'avez-vous ressenti à l'annonce de la bonne nouvelle ?
- Sur le moment on est vraiment déstabilisé. Avec le temps, on réalise, on se fait à l'idée d'être millionnaire. Il m'a fallu six mois pour m'en remettre.
- Avez-vous eu peur de le dire par crainte des sollicitations ? Avez-vous caché que vous étiez le gagnant ?
- Non pas du tout. Mon frère et moi avons décidé de le dire et tout s'est très bien passé. Notre famille, nos amis ont participé à la fête que nous avons organisée. J'ai même versé une « prime » de 2 500 F à tous mes collègues (300). Nous avons bien sûr eu des sollicitations, mais rien de bien méchant.
- Ces millions ont-ils changé votre vie ?
- J'étais fonctionnaire du trésor public. Avec mon frère nous avons créé une SARL et racheté le magasin d'instruments de musique que je fréquentais. Nous avons aussi créé une SCI.
* Comme tous les gagnants du livre, les noms et prénoms ont été changés.